samedi 10 septembre 2016

Le centre spatial, Spirou et Gaston

Chalut la compagnie !

Sapeerrrrrrrlipopette !
Quelques skypes, commentaires sur facebook ou messages watsapp m'ont bien fait comprendre votre frustration : "Saperlipopette ! Ce type nous a dit qu'il partait pour bosser ? Mon popotin oui ! C'est les grandes vacances à l'année !". Face à ces accusations d'une jalousie qui ferait rougir un papaver rhoeas, je vous répondrai en deux étapes.
La première consiste à vous répondre lâchement (et les plus mauvaises langues ne pourront me contredire) que cela ne change pas de d'habitude. Simplement, en Suisse, je n'avais pas de blog pour crier haut et fort sur la toile à quelle point ma vie était cool, les plus groupies d'entre vous le savaient déjà.

La deuxième étape consiste en cet article qui sera donc consacré au travail (purée, c'est lourd comme phrase !). Mais rassurez-vous, que point de lecture longue et fastidieuse, je tâcherais de garder une prose légère adaptée au niveau intellectuel de chacun (le miens en premier) et au pastis frais dont la couleur sied (du verbe seoir) parfaitement avec celle du transat sur lequel je suis. Cassons les tabous tout de suite, non je n'envoie pas de fusée dans l'espace ! Je dirais plutôt que je fais en sorte qu'elle puisse voler (à mon échelle, évidemment), vous comprendrez par la suite...

Commençons donc par une mini-présentation de l'environnement dans lequel je bosse, à savoir le Centre Spatial Guyanais (CSG - Cas Social Agravé - purée, ça en jette quand même !). Un de mes collègues et ami (ayant également fait l'EPFL et possédant un humour inversement proportionnel à sa masse capillaire) voulant garder l'anonymat nous avait envoyé une fois une petite carte qui décrit simplement le CSG de manière très explicite. Je vous laisse la lire, on se retrouve après...
700 km² et 1700 gulus à plein temps sur la base rien que pour envoyer des fusées (et des satellites) dans l'espace !


Du plus petit au plus gros, on trouve en premier le lanceur (=fusée) Vega. Imaginez 4 petits pétards chinois posés l'un par dessus l'autre et que l'on allume les uns après les autres et hop (!) 2 tonnes à 700 [km] d'altitude pour à peu près 30M€ le lancement (masse au décollage : 136t). Vega a été construit principalement par des italiens (d'ailleurs, j'ai appris un truc en écrivant cet articl: Vettore Europeo di Generazione Avanzata, pas peu fier les types !) et envois principalement des satellites scientifiques en orbite. 

Sans faire de polémique, l'Europe est une terre d'accueil. Niveau spatial, le grand copain actuel s'appelle la Russie, qui vend gentiment (mais pour quelque chose qui doit ressembler à 60-80M€, chiffre à vérifier) ses fusées Soyouz à l'ESA pour qu'on puisse en tirer depuis la Guyane. La il faut plutôt imaginer 5 énormes préparations coca mentos (avec 20 bouteilles de 1.5L côte à côte) tout en bas. Juste au dessus, une canette de 33cl fonctionnant sur le même principe. Et tout en haut, un échantillon coca vanille (voyez, un truc bien dégueu) que vous secouer bien avant d'ouvrir. Avec ce mélange, vous pouvez envoyer 9t au même endroit que Vega, ou alors 3.2t en orbite de transfert géostationnaire (masse au décollage : 300t).  Après, faut savoir que ce modèle est utilisé avec succès depuis plus de 60 ans, et qu'avec 1750 fusées construites (pour un taux de succès de 98% en comptant les échecs de début), le lanceur Soyouz (n'en déplaise à Ariane Espace) est le plus sûr existant aujourd'hui...

Et puis vient Ariane 5, le fleurons européen (et de la France, surtout), rien que ça ! La on augmente encore la dose : on prend la même préparation mentos que Soyuz, et on y accroche l'équivalent de deux Vega à gauche et à droite, et boum (masse au décollage : 750t) ! Avec ça, on envois 20t en orbite basse (ATV vers l'ISS), ou 10t en orbite géostationnaire pour grosso modo 150M€ le lancement...

Bref, mais à quoi ça sert tout ça ? Quel grand gaspillage de tunes ! Que nenni ! Dites vous que les films que vous regardez légalement sur internet à des taux de téléchargement de 50 Mbits/s, votre réseau 3,4,5,12g sur vos portables, vos box télévision numérique qui vous permettent de regarder 27 matchs de foot et de tennis en même temps, mais aussi les prévisions météos (ok, pas forcément un bon exemple !), les cartes géographiques, vos GPS, le nombre de pingouins qui se baladent sur la banquise, le réchauffement climatique, les armes nucléaires irakiennes... Tout ça n'existerait pas sans satellite !

Et moi dans tout ça ? J'apporte ma toute petite pierre à l'édifice. Vous vous doutez bien que pour envoyer tout ça en l'air, il y a pas mal d’infrastructures dont il faut s'occuper. C'est là que le "Bureau d'Etude et Travaux - BET" intervient. Une fuite d'eau, un nouveau bungalow, une remise à niveau de circuit d'air, un raccordement électrique, une passerelle d'accès, une salle blanche à installer... Le BET est là pour répondre à vos besoins ! Plus précisément, je fais partie du groupe méca-fluide du BET. Cela veut non seulement dire qu'on s'occupe du BBQ et de l'apéro, mais également d'installer, mettre à jour, raccorder, inventer, modéliser, désinstaller, créer, maintenir, réparer, tous les nouveaux/anciens équipements mécaniques et fluide de la base (de la bête rehaussement d'un chemin de câbles, au design et réalisation d'accès pour satellites, en passant par des remises à niveau de centrale de production d'air par exemple).

Je vais vous donner un exemple illustré afin que tout le monde comprenne.
- FIGURE 1 : Monsieur Ariane fait une demande au groupe méca du BET : "je veux une nouvelle passerelle d'accès pour aller chatouiller SPIP (Système de Préparation Induit Particulaire) qui est posé sur mon satellite SPIROU (Satellite Pour Idiot Rare Ou Inutile)".

Figure 1 : spécification du besoin par le client

- FIGURE 2 : du coup, je design la passerelle (que l'on nommera FANTASIO - Fabrication Assistée Nominale d'une Tour d'Accès Spécifique et Intentionnellement Orientée).

Figure 2 : traduction de la demande client et rédaction du dossier technique

- FIGURE 3 : on l'a fait fabriquer chez un de nos fournisseurs (GASTON : Guyane Assemblage Soudage Tuyauterie FerrOnerie et usiNage) 

Figure 3 : "Salut GASTON, laisse tomber ce que tu as déjà en retard, j'ai une affaire super urgente pour toi !"

- FIGURE 4 : on vérifie que le fournisseur n'a pas gaffé et qu'il n'a pas coupé en deux la passerelle (sous prétexte que le plan de fabrication possédait une vue en coupe*) ; on suit les travaux d'installation du matériel à l'endroit prévu ; on vérifie encore une fois que tout va bien.
*inspiré d'une histoire vraie


Figure 4 : "non di diou c'est pas ça que je voulais !"

- FIGURE 5 : si tout est ok, on donne les clés au client. Le bébé est à lui !


Et voilà, la boucle est bouclée ! En gros, je suis le projet de A à Z et je jongle entre les casquettes de commercial, ingénieur, chef de chantier... C'est ce qui rend le métier intéressant ! Alors non, je n'envoie pas de fusée dans l'espace, mais mon rôle est de faire en sorte que le terrain de jeu soit praticable en tout moment afin qu'elles puissent s'envoler...

Bon sinon, j'ai quand même été aux Iles du Salut - vestiges du bagnes et surtout baignades au programme - il y a deux semaines, à Cacao et son musée des insectes également, et on a eu un magnifique lancement de nuit fin août, mais j'ai déjà un peu trop écrit... donc je garde ça pour une autre fois (mais je vous balance quand même quelques photos, faut pas déconner :-P ).
Bisous Bisous.

Le ciel c'est bien, l'espace c'est mieux*



Ceci est une Ariane 5 qui décolle

*de moi